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Le pacte « Dutreil » dans un contexte franco-suisse : une précaution pour réduire efficacement le coût fiscal français d’une transmission d’entreprise

La localisation en Suisse d’une entreprise et de ses actionnaires fait parfois oublier que des droits de succession et de donation sont dus en France, alors même que le défunt (ou le donateur) n’y est pas domicilié, mais qu’en revanche l’un de ses héritiers (ou un donataire) l’est. 

Certes, le champ d’application « extensif » du droit fiscal français en matière de mutation à titre gratuit est limité par certaines conventions en matière de double imposition (« CDI ») – comme la CDI entre la France et l’Italie par exemple – mais celle qui existait entre la Suisse et la France a été dénoncée avec effet au 1er janvier 2015.  

L’absence de préparation d’une transmission d’entreprise aux enfants peut ainsi s’avérer lourde de conséquences au plan fiscal, soit jusqu’à 45 % de droits de succession ! 

Dans ce contexte, le dispositif « Dutreil » prévu par l’article 787 B du code général des impôts français (« CGI ») apparaît comme « salutaire » dans la mesure où il permet de réduire jusqu’à 75 % (et parfois au-delà) la charge fiscale inhérente à la transmission d’une entreprise par succession ou donation.

 

Par Jean-Luc Bochatay
Partner, FBT Avocats SA                                                              
Et Jérôme Bissardon
Partner, FBT Avocats SA                                                              

 

1. Conditions d’application du dispositif « Dutreil » 

Il s’agira pour un chef d’entreprise de souscrire, pour une durée minimale de deux ans, un pacte « Dutreil » pour lui-même et ses ayants cause à titre gratuit, seul ou avec plusieurs associés (représentant au minimum 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour les sociétés non cotées et 10 % et 20 % pour les sociétés cotées) en bénéficiant ainsi d’un abattement de 75 % sur la valeur des titres de sociétés éligibles (industrielles, commerciales, artisanales, agricoles, libérales) susceptibles d’être transmises par succession ou donation. 

Les bénéficiaires de la transmission s’engageront à conserver individuellement les titres pendant une durée de quatre ans à compter de l’expiration du pacte, lequel devra être en cours au moment de la transmission. Par ailleurs, pendant la durée du pacte et durant les trois années qui suivent la transmission, l'un des signataires du pacte ou l'un des bénéficiaires devra exercer dans la société une fonction de direction éligible (par exemple, mandat de présidence du conseil d’administration) ou son activité principale selon le cas. 

 

2. Economie du dispositif « Dutreil » 

En cas de décès, le dispositif « Dutreil » limitera le coût fiscal maximal à 11,25 % de la valeur vénale de l’entreprise en cas de transmission entre un parent et un enfant (contre 45 % maximum sans le dispositif).  

Une donation du vivant du chef d’entreprise, en pleine propriété, avec dispositif « Dutreil », permettra de réduire de moitié les droits lorsque le donateur est âgé de moins de soixante-dix ans, soit un coût fiscal maximal de 5,63 %. 

Enfin, en cas de donation de la seule nue-propriété – le donateur se réservant l’usufruit – la combinaison d’un démembrement avec le dispositif « Dutreil » réduira encore plus drastiquement la facture fiscale ! 

 

3. Cas d’application du dispositif « Dutreil » dans un contexte franco-suisse : 

  • En cas de transmission d’une entreprise française par un chef d’entreprise résidant en Suisse. 

Le dispositif n’est en effet pas réservé aux seuls résidents fiscaux français. 

  • En cas de transmission d’une entreprise suisse ou située dans un autre Etat par un chef d’entreprise résidant en Suisse, dont l’un ou plusieurs de ses héritiers, légataires ou donataires résident en France.  

C’est l’hypothèse classique d’un enfant qui s’installe durablement en France, y fonde son foyer, développe sa carrière ; c’est aussi le cas de l’enfant qui a toujours vécu en France et dont les parents ont transféré leur domicile en Suisse. Les situations sont multiples et variées.    

Fort heureusement, le dispositif « Dutreil » est applicable aux titres de sociétés établies en Suisse ; il faut cependant souligner que les conditions formelles posées par le législateur français sont parfois complexes à satisfaire s’agissant de sociétés implantées hors de France et nécessitent non rarement une analyse comparative pour s’assurer de la conformité des mécanismes prévus par la législation de l’Etat de situation de la société avec ceux qui encadrent le dispositif « Dutreil ».  

A titre d’exemple, pour une société anonyme suisse, il convient de vérifier si le mandat de président est comparable à celui du président d’une société anonyme de droit français, ce qui implique d’analyser et comparer les règles de fonctionnement du conseil d’administration d’une société suisse et d’une société française.  

  • En cas de transmission d’une entreprise suisse par un chef d’entreprise domicilié en France.   

Quand bien même la société est établie en Suisse, la transmission à titre gratuit de tout ou partie de ses titres sera imposable en France ; la mise en place d’un pacte « Dutreil » sera tout aussi efficace pour réduire, voire supprimer le coût fiscal en France.  

Il en sera de même en cas de transmission à titre gratuit des actions d’une société holding française ou suisse, interposée entre le chef d’entreprise et une filiale opérationnelle suisse. Dans cette situation, il conviendra d’établir un pacte « Dutreil » sur les titres de la filiale suisse, toutes conditions devant être respectées par ailleurs. L’exonération partielle sera alors appliquée à proportion de la valeur vénale des titres de cette filiale. 

Selon les circonstances, on pourrait envisager d’appliquer le dispositif « Dutreil » sur les titres de la société holding directement, ce qui réduirait encore davantage les droits de donation ; cela nécessiterait toutefois que la société holding – laquelle peut aussi bien être française que suisse – exerce de manière prépondérante une activité effective de « holding animatrice ». 

En conclusion, l’anticipation de l’impact fiscal en France d’une donation ou d’une succession n’est pas qu’une préoccupation de résidents français dans un environnement « hexagonal », mais concerne tout autant ceux qui résident en Suisse et dont la situation personnelle, familiale ou patrimoniale constitue un facteur de rattachement d’imposition en France.  

Même si aucune donation n’est envisagée à court ou moyen terme, la conclusion d’un « pacte Dutreil » sera une précaution très utile et permettra de réduire opportunément (et parfois même supprimer !) les droits de succession en cas de décès prématuré. Cette mesure participe ainsi – de manière efficace et juridiquement sécurisée – à protéger les héritiers. 

 

 

Biographies

Jean-Luc Bochatay est cofondateur et président de FBT Avocats. Il possède une vaste expérience des questions de droit fiscal, financier et commercial, liées aux sociétés suisses et étrangères ainsi qu’à leurs actionnaires.
Il conseille régulièrement des personnes physiques et des entreprises sur des problématiques juridiques et fiscales impliquant des aspects transfrontaliers ainsi qu’en relation avec des projets multi-juridictionnels. Il est considéré comme expert de premier plan en matière de règlementation et de fiscalité franco-suisses. 

Jérôme Bissardon est avocat associé (DJCE) et membre des groupes de droit fiscal et de droit des sociétés de FBT Avocats SA.
Expert en fiscalité individuelle et patrimoniale, il conseille les chefs d’entreprises et les particuliers dans le cadre de la recherche d’une structuration fiscale optimale de leur patrimoine professionnel et privé, en France comme à l’étranger, en vue de sa transmission (vente, donation, succession), ou dans une logique de rendement ou d’investissement à long terme.
Il a acquis une expérience solide concernant le dispositif « Dutreil » dans un environnement français ou franco-suisse, accompagnant les chefs d’entreprises dans leurs projets de transmission à titre gratuit, d’actions ou de parts de sociétés opérationnelles ou holdings animatrices, pour l’application de l’exonération de droits de mutation sur les trois quarts de la valeur.