Il n'y a pas de récession aujourd'hui aux Etats-Unis mais... jusqu'à quand ?

Il y a un problème majeur avec la définition américaine d'une récession. Parfois, il s'agit d'un simple ralentissement de la croissance. C'est le cas aujourd'hui. De quoi soulager les investisseurs ? Pas vraiment. La rhétorique guerrière des banques centrales visant à sacrifier la croissance sur l'autel de l'inflation n'est pas pour nous rassurer.

 

Par Michel Girardin
Chargé de cours, Geneva Finance Research Institute, Université de Genève

 

Les banques centrales durcissent le ton

Jusqu'à la réunion annuelle des banquiers centraux de fin août à Jackson Hole, Jérôme Powell jouait plutôt bien de son style "colombe" qu'il teintait parfois de quelques coups de griffe de "faucon". Il y a pile une année, dans ce même lieu perdu dans le Wyoming, Powell parlait d'erreur particulièrement dommageable que celle de durcir la politique monétaire, attendu que l'inflation était perçue comme un phénomène transitoire. A l'époque, l'inflation gravitait autour de 4%. Quelques mois plus tard, le Président de la Fed donnait des précisions sur ce qu'il entendait par "transitoire". En l'occurrence, il ne s'agissait pas d'un phénomène temporaire mais... d'un avènement qui a une fin. La belle affaire: c'est un peu comme de dire qu'un couple qui divorce après 30 ans de mariage était dans une relation transitoire...

Un an plus tard, le Président de la Fed change radicalement de registre : Il parle de coûts douloureux mais nécessaires pour réduire l'inflation. La voix d'Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, est encore plus ferme lorsqu'elle annonce qu'il faut sacrifier la croissance si l'on veut terrasser l'inflation.

Qu'en est-il de la situation économique aux Etats-Unis ? Notre propre indicateur avancé de la conjoncture américaine a parfaitement anticipé l’entrée en récession de l’économie américaine et ce, dès le début du mois de mai. Basé sur la confiance des consommateurs, il nous aide à identifier les récessions bien avant que la confirmation ne vienne par la deuxième baisse consécutive du Produit intérieur brut, sur base trimestrielle.

Le seuil des récessions - indiquées en barres verticales grises - est déclenché à chaque fois que la baisse de notre indicateur dépasse les 20%. En juin, elle a atteint un record historique de moins 41%, suivi d’une légère amélioration à moins 36% en juillet. Mais le chiffre à retenir est celui du mois d'août. A moins 17.2%, il est repassé au-dessus du seuil de la récession, pour s'installer dans celui de la reprise. A ce titre, il est intéressant de noter que la dite confiance n'a guère besoin d'afficher une hausse pour que l'économie américaine connaisse la reprise. Il suffit pour ce faire que la perte de confiance soit atténuée. De la même manière, le fait que les consommateurs ne soient plus "super-euphoriques", mais juste "très contents", peut suffire à déclencher une récession. Ce fut le cas en 2001, après l'éclatement de la bulle internet.

 

Notre propre indicateur avancé de la conjoncture américaine est sorti de la zone de récession à fin août

Aux Etats-Unis, deux baisses consécutives du PIB d'un trimestre à l'autre suffisent à décréter la récession. Cette définition est problématique à plus d'un titre, le principal étant qu'elle diagnostique des récessions là où il peut être question que d'un simple ralentissement ! C'est un problème majeur car il ne faut pas sous-estimer les impacts psychologiques que des titres de journaux annonçant le début de récession peuvent avoir sur le moral des consommateurs et des entreprises.

En l'occurrence, il n'y a pas de récession aux Etats-Unis aujourd'hui ! Il s'agit d'un simple ralentissement de la croissance. Les vrais récessions - aux Etats-Unis comme ailleurs - voient le taux de chômage monter sensiblement. Rien de tout cela aujourd'hui. Le chômage n'a jamais été aussi bas depuis 40 ans. Un chiffre nous dit que la récession aux Etats-Unis est encore loin : pour chaque chômeur, il y a 1.7 emplois disponible.

Jérôme Powell peut donc rester optimiste. A plus long terme, c'est pourtant lui qui tient les cartes en main - ou les taux d'intérêt plus exactement - pour décider si la courbe en bordeaux passera sous la barre du 0. Nous pourrons parler alors de véritable récession aux Etats-Unis.

 

 

Biographie

Michel Girardin enseigne la macroéconomie appliquée à la finance à l’Université de Genève. Il est titulaire d’un Doctorat et d’un Master en économie politique de l’Ecole des HEC à l’Université de Lausanne, ainsi que d’un Master en économie de la London School of Economics. Il bénéficie d’une expérience de 25 années en tant que Chef-économiste et Chief Investment Officer dans le secteur bancaire en Suisse. A ce titre, il a été conseiller pour la politique de placement des principales caisses de pension en Europe. Il est membre du conseil d’administration du « International Center for Monetary and Banking Studies ». En 2013, il a créé MacroGuide SàRL, une société de conseils et suivi des investissements pour les caisses de pension et les sociétés de gestion.