Nouveautés en droit des fondations

La Suisse est réputée pour être une juridiction libérale et abriter de nombreuses fondations actives tant au niveau national qu'international. Le droit suisse sur les fondations (art. 80 à 89 du Code civil, ci-après: "CC") permet la constitution d’une fondation à des fins multiples pour autant que son but soit juridiquement admissible. Bien que la grande majorité des 17'830 fondations en Suisse poursuivent un but d’utilité publique, il existe aussi un nombre non négligeable d'autres fondations comme les fondations d’entreprise, d’art ou des récentes "crypto-fondations". Le patrimoine estimé des 13'790 fondations suisses d’utilité publique s'élève au total à environ 139,5 milliards de francs.

Le législateur suisse a récemment adopté des réformes spécifiques en droit des fondations pour renforcer l'attractivité de la Suisse dans ce secteur. Certaines dispositions modifiées sont entrées en vigueur le 1er janvier 2023 et d'autres n'entreront en vigueur qu'au 1er janvier 2024.

Le présent article présente quelques points importants de la réforme.

 

Par Dr. Daniel Leu 
Avocat, Bär & Karrer                                                                       
Dr. Lukas Brugger
Avocat, Bär & Karrer                                                                       
Me Bruno Perriard
Avocat stagiaire, Bär & Karrer                                                        

 

Rapport de rémunération

Depuis cette année, les fondations suisses sont tenues de communiquer tous les ans à l’autorité de surveillance compétente le montant global des indemnités versées directement ou indirectement à leur organe suprême et aux membres de la direction (article 84b CC). Cette nouvelle disposition oblige désormais toutes les fondations à établir annuellement un rapport de rémunération (indépendamment de l'autorité de surveillance compétente).

Toutefois, cette obligation ne résout pas la question controversée de la rémunération adéquate des membres de l'organe suprême des fondations d’utilité publique. D’un point de vue juridique, des indemnités appropriées sont admises. Par ailleurs, selon une pratique largement acceptée, il n’existe pas de seuil à proprement dit pour ces rémunérations, mais des facteurs – tels que le capital de la fondation, la complexité de l’administration ou encore l’expertise du membre du conseil d’administration – doivent être pris en compte pour déterminer si une rémunération est admissible.

Il sied aussi de préciser que, sous l'angle fiscal, la rémunération des membres du conseil de fondation peut influencer la reconnaissance d’une fondation d'utilité publique. Les pratiques cantonales varient fortement à ce sujet. Certaines autorités cantonales estiment que le versement de telles rémunérations est préjudiciable à la reconnaissance du but d'utilité publique, alors que d'autres autorités cantonales s'en accommodent.

Certains détails sur ce rapport de rémunération ne sont pas encore clairs, notamment la question de savoir si le rapport doit contenir le montant global des rémunérations ou si les rémunérations de chaque membre doivent être déclarées séparément. L’autorité fédérale de surveillance a récemment publié une directive qui exige la communication de la rémunération individuelle de chaque membre du conseil de fondation.

 

Obligations en cas d'insolvabilité et surendettement

Selon le nouvel article 84a CC déjà en vigueur, l’organe suprême de la fondation doit aviser sans délai l’autorité de surveillance en cas de risque d’insolvabilité ou de surendettement. En outre, si l’organe de révision constate que la fondation est insolvable ou surendettée, il doit en informer l’autorité de surveillance. Cette révision modifie donc les devoirs des organes de la fondation prévoyant ainsi un mécanisme plus direct en cas de déséquilibre financier.

 

Plainte à l'autorité de surveillance

Les fondations de droit suisse sont soumises à la surveillance d'une autorité communale, cantonale ou fédérale. Cette autorité doit notamment s'assurer que le patrimoine de la fondation soit utilisé conformément à son but. Dès 2024, un nouvel article 84 al. 3 CC précisera les possibilités de recours contre les actes ou les omissions des organes de la fondation, en ce sens que "[l]es bénéficiaires ou les créanciers de la fondation, le fondateur, les contributeurs ultérieurs de même que les anciens et les actuels membres du conseil de fondation qui ont un intérêt à contrôler que l’administration de la fondation est conforme à la loi et à l’acte de fondation peuvent déposer une plainte auprès de l’autorité de surveillance".

Cette précision apporte une clarification importante pour la pratique, même si elle n'élimine pas toutes les incertitudes, comme le fait qu'il n'est toujours pas clair en quoi consiste l'"intérêt" requis et si d'autres personnes ayant un "intérêt", telles que les héritiers du fondateur, peuvent déposer une telle plainte.

 

Le droit réservé au fondateur

Dès 2024, le fondateur pourra se réserver le droit de modifier unilatéralement le but ou l'organisation de la fondation, en vertu du nouvel article 86a al. 1 CC. Ce droit doit être réservé dans l'acte de fondation et ne peut être exercé qu'après l'expiration d'un délai de dix ans depuis la constitution de la fondation ou depuis la dernière modification du but ou de l’organisation requise par le fondateur. Ce droit est incessible et ne passe pas aux héritiers. Lorsque le fondateur est une personne morale, ce droit s’éteint au plus tard vingt ans après la constitution de la fondation.

 

Modifications accessoires de l’acte de fondation

La norme requise pour que l'autorité de surveillance puisse apporter des modifications accessoires à l'acte de fondation changera également dès 2024, notamment sur le fait que ces modifications ne nécessiteront plus d'acte authentique (nouvel article 86c CC).

 

 

Biographies

Dr. Daniel Leu, M.Jur (Oxon.), est avocat, associé de l'étude Bär & Karrer à Zurich. Il conseille des clients privés et des family offices en matière de planification patrimoniale et successorale, de gestion des successions, de fondations et de trusts, ainsi que sur des questions liées au lieu de résidence.

Dr. Lukas Brugger est avocat, collaborateur de l'étude Bär & Karrer à Zurich. Il conseille et représente des clients privés suisses et étrangers dans le cadre de litiges familiaux et successoraux, de fondations et de trusts, de planification et de règlement de successions, ainsi qu'en matière de droit des contrats et de droit des sociétés.

Me Bruno Perriard est avocat stagiaire de l'étude Bär & Karrer à Genève. Sa pratique se focalise sur le droit des sociétés et le droit commercial ainsi que sur la fiscalité suisse et internationale.